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Apprendre à distance – Neuf principes pour inspirer les actions en éducation

21 avril 2020

Pour faire suite à mon texte Éducation : de l’urgent à l’important, j’ai poursuivi ma réflexion afin de proposer des orientations qui prendraient en compte les éléments et les questions que j’ai soulevés jusqu’à maintenant. De plus, j’ai reçu de nombreux commentaires, tous très pertinents, qui ont nourri ma réflexion et qui m’ont touché profondément. Je vous en remercie grandement. Je crois fermement que c’est collectivement que nous arriverons à relever ce défi de l’éducation en contexte d’isolement généralisé.

Ce document propose des principes qui pourraient orienter les actions des différents acteurs de l’éducation (parents, enseignant•e•s, professionnel•le•s, technicien•e•s, directions, gestionnaires, etc.) Il est principalement orienté vers les besoins des élèves, mais on pourrait remplacer le mot élève par d’autres comme parents, personnel, etc. selon le rôle que l’on joue. À noter, ces principes ont été pensés comme des préalables; pour mettre en pratique un principe, il est nécessaire d’avoir pris en compte les précédents. Un peu comme la pyramide de Maslow, si l’on ne parvient pas à appliquer les premiers principes, il risque d’être très difficile de mettre en place les suivants. Il peut néanmoins y avoir des aller-retour entre les principes (forme de dynamisme plutôt qu’une linéarité stricte). N’hésitez pas à proposer des modifications pour améliorer cette réflexion. 

Principes 

1- Maintenir la relation

La relation entre l’enseignant•e et l’élève est un facteur déterminant dans l’apprentissage. On parle souvent de l’effet enseignant•e, ce fameux élément qui fera qu’un apprenant s’engagera ou non, qu’il relèvera des défis que lui-même ne croyait pas possibles. On le sait, cette relation à la base de l’apprentissage est essentielle. En classe, elle représente parfois un défi. La période d’arrêt qui se prolonge de semaine en semaine et qui semble indéterminée est fort propice aux désengagements de ses apprentissages, particulièrement auprès des élèves à risque et pour un bon nombre de jeunes du secondaire. Il est donc primordial de chercher à maintenir cette relation avec les personnes que l’on accompagne. Ce temps de dialogue avec ses élèves permettra également de mesurer leur niveau de disponibilité et le contexte de chacun ce qui teintera les actions à proposer.

2- Prendre soin

Prendre soin les uns des autres me semble une priorité. Peu importe notre niveau d’intervention, il me semble important de prendre des nouvelles des autres, de s’intéresser à leurs conditions de vie, de demander comment évolue la situation pour chacun. Il est possible que cela varie beaucoup d’une journée à l’autre, donc l’acte de prendre soin est à renouveler continuellement. Cela est à considérer chaque fois et demande un ajustement constant. Il est possible, certains jours et dans certains cas, que ce soit la seule action qui fera vraiment œuvre utile.

3- Ajuster les attentes

Le temps disponible de chaque acteur est limité dans ce contexte d’isolement. La capacité à se concentrer, à rester disponible aux autres ou à effectuer une tâche est aussi réduite. Il est donc nécessaire de privilégier les apprentissages essentiels. Il est utile de tenir compte du contexte de chacun pour proposer des activités d’apprentissage variées, courtes dans le temps, dosées en quantité et répondant à des besoins précis. Par exemple, des activités de révision des apprentissages déjà abordés en classe auraient pour effet de rafraichir la mémoire, rappeler des concepts ou des notions, se souvenir d’exercices déjà effectués. L’enseignant pourrait aussi renforcer des apprentissages en vue d’effectuer des transferts de savoirs dans de nouveaux contextes ou en augmentant légèrement leur degré de complexité. Dans le cas où des notions, des concepts ou des processus ne sembleraient pas intégrés, on pourrait les reprendre de manière différente en tenant compte des besoins particuliers de l’élève. Quelle que soit l’activité retenue, il demeure important d’ajuster ses attentes de manière à rendre la tâche accessible et motivante.

4- Donner confiance

Parmi les facteurs les plus déterminants sur l’apprentissage vient en tête le sentiment d’efficacité personnelle1 (SEP). Il est donc primordial de nourrir le plus possible ce sentiment. Proposer des défis justes (assez grand, mais pas trop), encourager, démontrer la confiance que vous avez en leur capacité à les relever : voilà quelques comportements qui contribueront à bonifier/favoriser les apprentissages à venir ET/OU à établir un climat propice aux apprentissages.

5- Cibler les actions

Le modèle de la réponse à l’intervention2 (RAI) suggère que les pratiques efficaces en classe permettent la réussite de 80 % des élèves sans autre soutien particulier. Pour les 20 % des élèves dits à risque, il faut établir des mesures plus intensives et spécifiques. Le schéma 1 ci-dessous s’inspire de ce modèle théorique pour guider les choix d’actions à mettre en place. Il se divise en deux sections. La première cherche à dresser le potentiel portrait des conditions d’apprentissage à la maison. Selon l’enquête du CEFRIO La famille numérique3, bien que 98 % des familles auraient accès à une connexion à la maison, près de 25 % d’entre eux n’utiliserait qu’un seul appareil, mais on ne sait pas s’il est partagé ou non avec d’autres membres de la famille. De plus, cette enquête n’offre pas de données sur la qualité de la connexion disponible à la maison. Cette section tente également de prendre en compte la disponibilité des adultes pour soutenir leur enfant de même que l’accès à un lieu propice à l’apprentissage. La deuxième section du schéma découle directement du modèle RAI et cherche à rendre compte des impacts des difficultés d’apprentissage pendant cette période de confinement.

En s’inspirant de ce modèle, on pourrait par exemple convenir que les actions du personnel enseignant devraient cibler principalement les premier et deuxième paliers de ce modèle. Le personnel professionnel (orthopédagogie, psychologie, orthophonie, ergothérapie, psychoéducation, travail social, etc.) et les technicien•ne•s en éducation spécialisée pourraient, pour leur part, concentrer leurs efforts afin de soutenir de manière accrue les élèves se situant aux paliers 2 et 3. Toutefois, le schéma 2 tente d’illustrer les effets combinés de ces deux aspects. Cela pourrait aussi avoir une incidence sur les choix à effectuer. Certains élèves ne présentant pas de difficultés particulières en classe pourraient se retrouver dans une zone à risque. 

C’est d’ailleurs ce que nous rappellent à juste titre les chercheurs Olivier Arvisais, Marion Deslandes Martineau et Patrick Charland de la Chaire UNESCO de développement curriculaire à l’UQAM :

Les élèves avec des difficultés d’apprentissage peuvent être aussi particulièrement touchés lors d’une interruption prolongée de l’école. Sans compter que la charge liée au rattrapage après une période d’inactivité prolongée peut précipiter le décrochage scolaire pour certains.4

Les deux schémas qui suivent tentent d’illustrer ces différentes réalités.

Schéma 1

Ce tableau à deux entrées tient compte des conditions et des difficultés d’apprentissage et permet d’illustrer les impacts conjugués de ces deux facteurs. Les élèves se situant dans la zone rouge foncé auraient besoin de plus de soutien et ceux dans la zone verte auraient une plus grande facilité à s’adapter. Le dégradé des couleurs entre le rouge et le vert indique le niveau de complexité croissant à soutenir les élèves qui seraient les plus à risque de subir des conséquences négatives sur leurs apprentissages de cette période d’isolement physique.

Schéma 2

6- Choisir des technologies connues

En contexte déstabilisant comme celui de l’isolement physique, afin de maintenir la relation, il est préférable d’utiliser des technologies que l’on maîtrise déjà. Chacun connait un outil pour clavarder, tenir une conversation audio ou vidéo. Les outils avec lesquels nous sommes familiers sont ceux qui auront le plus de chance de fonctionner et qui réduiront les efforts et les obstacles à une communication directe. Toutefois, il peut s’avérer nécessaire de s’approprier de nouvelles technologies ou de nouvelles fonctionnalités des outils déjà connus. Le recours à l’aide de son réseau ou des experts peut faciliter cette appropriation. Ainsi, nourrir son réseautage, faire appel à ses pairs, faire des tests en petits groupes peuvent être des stratégies efficaces. Bref, ne pas rester seul devant ces défis! Par ailleurs, si l’on devait équiper des élèves, il serait judicieux de choisir des technologies simples, efficaces, robustes et présentant peu ou pas de failles de sécurité.

7- Prendre en compte des considérations éthiques

Entrer en contact avec mes élèves à distance peut soulever un ensemble de questions éthiques pour lesquelles une réflexion préalable serait utile. Il s’agit de faire preuve de prévoyance et de bienveillance, sans toutefois semer la peur face à des dangers potentiels qui, au final, pourraient engendrer les problèmes que l’on voulait éviter. On privilégiera donc des formulations qui expriment ce qui est attendu et non ce que l’on veut éviter. Votre établissement ou votre commission scolaire propose peut-être déjà des recommandations à cet effet. Voici quelques exemples de questions à soulever pour réfléchir en équipe :

  • Comment puis-je protéger la vie privée de mes élèves et de leur famille?
  • Comment puis-je protéger ma vie privée, celle de ma famille, de mes enfants, etc.?
  • Quelles sont mes attentes face à mes élèves en ce qui a trait au respect des autres, à la confidentialité, à la vie privée? 
  • Comment puis-je leur formuler explicitement celles-ci de manière positive sans donner d’exemples négatifs qui pourraient leur donner l’idée de le faire?
  • Comment puis-je engager un dialogue constructif avec eux à propos de ces enjeux si cela s’avère utile ou même nécessaire?
  • Quelles questions puis-je leur poser pour les amener à s’intéresser au point de vue des autres en fonction des enjeux de nos communications régulières?
  • Etc.

Il est plus formateur de développer la réflexion éthique chez nos élèves que de simplement leur donner des règles précises. On peut leur communiquer clairement et explicitement nos attentes de manière positive pour ensuite les amener à réfléchir à celles-ci. Voici comment une attente pourrait être formulée : les échanges (textes, images, vidéos, sons, etc.) servent à soutenir les personnes et les apprentissages en se souciant du bien-être de soi-même et des autres, et ce, en tout temps, même en dehors des rencontres virtuelles. On peut ensuite amener les élèves à donner des exemples eux-mêmes de ce que cela peut vouloir dire plutôt que de leur exposer nos propres craintes. À partir de ces exemples, on les invite à nommer clairement ce qui est attendu et, si les élèves n’y arrivent pas, on peut le leur dire explicitement. Par exemple, si l’on interdit la capture d’écran, on pourrait priver les élèves d’un outil précieux pour prendre des notes. En fait, ce que l’on veut éviter, ce sont des usages non souhaitables par la suite. On pourrait donc demander aux élèves si le fait de faire une capture d’écran contrevient à l’attente exprimée et pourquoi ou comment on peut le faire tout en respectant la règle.

8- Adapter la durée des rencontres

Il est également utile de limiter le nombre des interactions en temps réel. Donc, selon l’âge, on proposera des rencontres courtes avec peu d’élèves à la fois. Avec les plus jeunes et les élèves en difficulté, on ne dépassera pas 2 ou 3 personnes, voire moins. Plus ils seront âgés, plus on pourra augmenter en ne dépassant pas de 15 à 20 personnes au secondaire.

9- Faire preuve de flexibilité

Chaque situation, chaque personne, chaque jour est unique et demande de l’adaptation. Faire preuve de flexibilité, cela peut vouloir dire de laisser des choix, de proposer des alternatives, de suggérer une durée, mais de laisser l’enfant libre quant au moment, de permettre des modalités différentes (seul, en équipe, avec de l’aide, par petites bouchées, en alternance, dans le silence, entouré de personnes, assis, debout, en marchant, etc.) Cela peut aussi vouloir dire de modifier les activités, les attentes ou les modalités en fonction du degré de réponse des participants pour tenir compte de dimensions affectives, cognitives, organisationnelles, temporelles, etc. Tout ceci demande de l’écoute, de l’ouverture, de l’empathie les uns envers les autres. Par conséquent, chacun de nous a besoin de prendre conscience que ces défis sont aussi les siens et faire preuve d’indulgence face à soi-même.

Benoit Petit, @petitbenoit

Merci à Nathalie Angers @NathalieAngers, Étienne Roy @tienneRoy3, Jennifer Poirier @poirierjenn, Marjorie Paradis @ParadisMarjorie, Danielle Millette @DanMillette et Stéphane Allaire @ytsejamer pour leur précieuse collaboration!

1  Bouffard, Thérèse et Vézeau, Carole, Intention d’apprendre, motivation et apprentissage autorégulé : le rôle de la perception de compétence et des émotions, Dans M. Crahay & M. Dutrevis (Eds.), Psychologie des apprentissages scolaires (pp. 66-84). De Boeck, 2010, consulté le 24 mars 2020.

2  RIRE-CTREQ, La réponse à l’intervention [Dossier thématique] par Anne-Isabelle Lévesque, 2017, consulté le 24 mars 2020.

3 CEFRIO, La famille numérique, Netendance, Édition 2019, volume 10, numéro 5, consulté le 20 avril 2020.

4 Arvisais, Olivier, Deslandes Martineau, Marion et Charland, Patrick, Les enseignants sont essentiels dans cette crise du coronavirus. L’a-t-on oublié ?, 7 avril 2020, consulté le 21 avril 2020.

Annexes

Schéma sous forme de palier à la manière de la pyramide de Maslow. Les paliers inférieurs étant nécessaires à prendre en compte avant de s’attarder aux paliers supérieurs bien qu’il puisse y avoir une forme de flexibilité entre eux et des aller-retour.

Schéma 3

Schéma sous forme de sous-ensembles. Chaque élément prend en compte les sous-éléments qui sont à l’intérieur. Il peut y avoir une forme de flexibilité entre eux et des aller-retour.

Schéma 4

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